Demandes de justifications sur les sommes créditées sur des comptes : appréciation de l’écart entre les crédits des comptes et les revenus déclarés.
Dans sa décision n° 408543 du 1er octobre 2018, le Conseil d’Etat apporte des précisions en ce qui concerne les cessions de valeurs mobilières et les rachats de contrats d’assurance-vie, ainsi que les versements de compte à compte par chèque, dans le cadre de l’appréciation de l’écart entre les crédits des comptes et les revenus déclarés.
Aux termes de l’article L 16 du LPF, en vue de l’établissement de l’impôt sur le revenu, l’administration peut demander au contribuable des justifications au sujet de sa situation et de ses charges de famille, des charges retranchées du revenu net global ou ouvrant droit à une réduction d’impôt sur le revenu, des avoirs ou revenus d’avoirs à l’étranger, de tous les éléments servant de base à la détermination du revenu foncier ainsi que des gains de cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux et des plus-values de cession d’immeubles ou de biens meubles.
L’article L 16, al 3 du LPF autorise l’administration lorsqu’elle détient des éléments permettant d’établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu’il a déclarés, notamment lorsque le total des montants crédités sur les relevés de compte du contribuable représente au moins le double de ses revenus déclarés ou excède ces derniers d’au moins 150 000 €.
Cette disposition doit être respectée par l’administration fiscale qui n’a donc pas le droit d’interroger le contribuable lorsque le total des montants crédités sur ses relevés de compte ne représente pas au moins le double de ses revenus déclarés ou n’excède pas ces derniers d’au moins 150 000 €, pour chacune des années au titre desquelles les demandes sont faites.
Le juge veille au respect de la règle du double. Lorsque la comparaison entre les crédits enregistrés sur les comptes du contribuable et les revenus bruts déclarés ne fait apparaître qu’un rapport de 1,96 la règle du double n’est pas respectée, la demande de justifications adressée au contribuable et la taxation d’office qui s’en suit sont irrégulières.
L’article L 16 A du LPF ajoute que les demandes d’éclaircissements ou de justifications fixent au contribuable un délai de réponse qui ne peut être inférieur à deux mois. Le contribuable dispose donc d’au moins deux mois pour répondre à ces demandes formulées dans le cadre de l’article L 16 du LPF.
En l’absence de réponse dans le délai imparti, le fisc a la possibilité de procéder à la taxation d’office, prévue à l’article L 69 du LPF. Il en va de même si la réponse est adressée hors délai.
En l’espèce, le contribuable avait, au cours de l’année 2008, demandé le rachat de parts de Sicav et d’un contrat d’assurance-vie. La question se pose donc de savoir si pour déterminer si l’écart entre les crédits des comptes et les revenus déclarés l’autorisait à demander des justifications au contribuable, l’administration devait-elle retenir au titre des revenus déclarés le montant des gains nets perçus à l’occasion des rachats, porté par l’intéressé sur sa déclaration n° 2042, ou le montant de la somme versée lors de ces rachats.
De même, fallait-il neutraliser les versements de compte à compte par chèque que le contribuable avait fait, en se faisant des chèques à lui-même ?
En ce qui concerne le rachat de parts de Sicav et d’un contrat d’assurance-vie, le Conseil d’Etat considère que l'administration peut se fonder sur les revenus figurant sur la déclaration des revenus que doit déposer le contribuable en vertu des articles 170 et suivants du code général des impôts, y compris sur des revenus nets lorsque celle-ci ne comporte pas d'information sur les revenus bruts.
Il juge ainsi qu’il faut prendre en compte les gains nets déclarés par le contribuable.
On retient donc de cette décision que l’administration est fondée à comparer des crédits sur les comptes incluant les sommes versées lors de la cession de valeurs mobilières et du rachat de contrats d’assurance-vie avec des revenus déclarés comprenant les gains perçus à l’occasion de ces opérations, alors même que l’écart entre les sommes versées et les gains perçus ne constitue pas, par définition, un indice de revenu dissimulé.
On remarque ainsi le refus du Conseil d’État de transposer aux cessions de valeurs mobilières et aux rachats de contrats d’assurance-vie sa solution relative aux opérations de cessions de biens immobiliers, solution qui fait obligation à l’administration de neutraliser, préalablement à une demande de justifications, les opérations de cessions immobilières régulièrement déclarées, en faisant abstraction du montant du prix de cession de l’immeuble dans les crédits figurant sur les comptes du contribuable et du montant de l’éventuelle plus-value réalisée à cette occasion dans les revenus déclarés par l’intéressé (CE 29-3-2017 n° 391200).
Le Conseil d’Etat considère, en réalité que les cessions immobilières sont peu fréquentes et portent sur des montants élevés, ce qui n’est pas le cas des cessions de valeurs mobilières et des rachats de contrats d’assurance-vie, qui peuvent être nombreux et de faibles montants.
En ce qui concerne les versements de compte à compte par chèque, on pouvait imaginer la transposition à ces opérations, de la jurisprudence sur les virements de compte à compte selon laquelle l’administration doit, pour déterminer le montant total des crédits à comparer au montant des revenus déclarés, neutraliser les virements de compte à compte du contribuable dès lors que les crédits provenant de tels virements ne peuvent être regardés comme un indice de revenu dissimulé (CE 20-10-2010 n° 317565).
Au contraire, le Conseil d’Etat retient que, s'agissant des remises de chèques, l'administration n'est pas tenue de les extourner des crédits pris en compte, alors même que certaines remises de chèques correspondraient à des versements de compte à compte, dès lors qu'une telle exclusion nécessiterait une analyse critique des relevés bancaires.
CE 3e-8e ch. 1-10-2018 n° 408543.
Arnaud SOTON
Avocat Fiscaliste
Professeur de droit fiscal