La renonciation à percevoir une augmentation de loyer constitue un acte anormal de gestion.
Les charges acceptées en déduction du résultat doivent se rattacher à une gestion normale de l’entreprise, ce qui exclut la déduction des dépenses liées à des actes anormaux de gestion et des sanctions pécuniaires, conformément aux articles 38 et 39-2 du Code Général des Impôts (CGI).
De même, les charges doivent être exposées dans l’intérêt direct de l’exploitation ce qui exclut les dépenses personnelles et les dépenses somptuaires art. 39-4 du CGI.
L’acte anormal de gestion est celui qui met une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise ou qui la prive d’une recette sans être justifié par les intérêts de l’exploitation. C’est une construction jurisprudentielle qui déroge au principe de la liberté de gestion.
Ainsi, si en principe, le dirigeant d’une entreprise doit pouvoir juger de l’opportunité de sa gestion, sans que le vérificateur puisse critiquer son choix (par exemple décider de financer un investissement par l’emprunt plutôt que sur ses fonds propres), cela n’empêche pas l’administration fiscale de faire référence à la notion d’acte anormal de gestion et de procéder à la rectification de certaines opérations. C’est le cas par exemple des sommes facturées à l’entreprise pour des prestations fictives (CE 2 mars 1988 n° 45625), de prise en charge de frais incombant à des entreprises tierces sans aucune contrepartie (CE 18 novembre1985 n° 51321), ou encore des dépenses dont le montant est excessif. Le fait qu’une société prenne en charge les frais d’entretien des pièces utilisées personnellement par son principal actionnaire est qualifié d’acte anormal de gestion (CE 4 décembre 1981). Sont qualifiés d’actes anormaux de gestion, des travaux effectués par l’entreprise dans des locaux appartenant à son dirigeant, dès lors que ces travaux ne sont pas utiles ou affectés à l’exploitation (CE 24 juin 1987). Il y a acte anormal de gestion lorsque des rémunérations sont versées à un salarié attaché au service personnel du dirigeant de l’entreprise (CE 27 octobre 1986). Le fait de renoncer à obtenir une contrepartie lors de la signature d’une concession de licence de marque (CE 26 septembre 2011), ainsi que l’acquisition par une société d’un brevet, dont l’inventeur est son propre PDG, alors que la société n’est pas en position d’exploiter le brevet du fait de son objet social et de ses difficultés financières (CE 17 octobre 2003), constituent des actes anormaux de gestion. Un surprix payé sans justification à un fournisseur étranger constitue un a acte anormal de gestion (CE 25 mars 1983).
Au cas particulier, il est jugé que la non-application d’une clause d’indexation des loyers et l’absence de revalorisation des loyers après des travaux d’agrandissement constituent des renonciations à recettes constitutives d’un acte anormal de gestion.
En effet, deux conjoints détiennent le capital d’une SARL exerçant une activité immobilière. L’immeuble acquis par la société est donné en location aux autres sociétés du groupe détenu par les conjoints et à ces derniers au titre de leur habitation principale
Dans le cadre de la vérification de comptabilité de la SARL, l’administration fiscale a estimé que cette société a renoncé à des recettes et commis des actes anormaux de gestion en n’appliquant pas les clauses d’indexation des loyers suivant l’indice du coût de la construction prévues par les baux signés avec ses locataires et en ne revalorisant pas les loyers suite à d’importants travaux ayant conduit à une augmentation des surfaces louées. Les conjoints ont fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle et l'administration a tiré les conséquences, au niveau du foyer fiscal, de la vérification de comptabilité des sociétés et de l'existence de revenus distribués par ces sociétés aux intéressés.
L'administration a constaté que d'importants travaux, d'un montant cumulé de 709 652 euros de 1999 à 2012, avaient été entrepris aboutissant à une augmentation de la surface louée aux conjoints de 200 m² alors que le loyer était resté inchangé.
La Cour administrative d’appel de Douai donne raison à l’administration sur ce point, en ce sens que l’absence de revalorisation du loyer d’un bail par application d’une clause contractuelle d’indexation conduit la société à se priver d’une recette, privation qui constitue un appauvrissement de la société constitutif d’un acte anormal de gestion, sauf preuve contraire apportée par le contribuable.
Il faut noter que lorsque l’administration invoque le caractère anormal d’un acte de gestion, c’est à elle d’apporter la preuve que cet acte n’a pas été accompli dans l’intérêt de l’entreprise. On peut remarquer l’abandon de la théorie du risque manifestement excessif dans l’appréciation de l’acte anormal de gestion.
C’est ainsi que conformément à la position du Conseil d’État sur l’abandon de la théorie du risque manifestement excessif, (CE 13 juillet 2016 no 375801, Monte Paschi Banque), la cour administrative d’appel de Versailles a censuré la position de l’administration, en jugeant que lorsqu’une entreprise, à l’occasion d’une opération entrant dans le cadre de son objet social, est victime d’une escroquerie causée par les agissements d’un tiers, l’administration n’est pas fondée à refuser la déduction de la perte correspondante, il importe peu que les dirigeants aient exposé leur entreprise à un risque élevé de perte par leur carence manifeste. En effet il n’y a pas d’acte anormal de gestion dès lors que l’opération n’est pas exclue de l’objet social de l’entreprise et qu’elle a été réalisée dans l’intérêt de l’entreprise, bien que le dirigeant ait procédé au paiement total de marchandises avant leur livraison effective sans vérifier au préalable les documents fournis par le vendeur, qui se sont, par la suite, révélés être des faux. (CAA Versailles 7 février 2017 no 15VE03890).
Au cas particulier, s'agissant de la charge de la preuve, la Cour d’appel note que contrairement à ce que soutient l’administration, le contribuable n'a pas accepté les rectifications mais a simplement remarqué que « nous sommes d'accord avec les montants indiqués dans votre notification » et qu’il ne saurait donc être déduit de cette remarque que la société a accepté ce redressement mais simplement qu'il n'y avait pas de désaccord sur le montant des remises de fin d'année. Dès lors la charge de la preuve, s'agissant de l'existence de recettes non comptabilisées par la société, incombe à l'administration.
Arnaud Soton
Avocat Fiscaliste
Professeur de droit fiscal