L’abus de droit est caractérisé même si un acte licite aurait pu avoir le même résultat.
L’abus de droit n’est pas retenu si l’acte conclu n’atténue pas la charge fiscale du contribuable. En revanche, l’acte peut être considéré comme abusif alors même que le contribuable aurait pu parvenir au même résultat par d’autres actes réguliers.
En effet, l’abus de droit est retenu si l’opération a procuré un gain fiscal à son auteur. Le Conseil d’État précise que des actes qui sont, en réalité, dépourvus d’incidence sur la charge du contribuable ne peuvent être écartés comme constitutifs d’un abus de droit même s’ils avaient uniquement pour but d’éluder ou d’atténuer cette charge. Cependant dans l’hypothèse où le contribuable qui a passé ou réalisé un acte frauduleux dans le seul but d’atténuer sa charge fiscale aurait pu réduire cette charge de manière identique en opérant d’autres choix fiscaux, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que l’acte soit écarté comme abusif. Ainsi pour le Conseil d’Etat, la circonstance que le contribuable aurait pu, en opérant d'autres choix fiscaux, appréhender la trésorerie d’une société française en franchise d'impôt est sans incidence sur l'existence d'un montage artificiel (une holding luxembourgeoise interposée) et sur le droit de l'administration de l'écarter comme ne lui étant pas opposable.
Au cas particulier, deux frères détenaient les parts d’une société française, et en 2009, ils ont apporté l'intégralité de leurs parts à une société luxembourgeoise qu’ils avaient créée pour l’occasion. La filiale française a ainsi distribué à sa société-mère luxembourgeoise des dividendes importants au cours des exercices 2009, 2010 et 2011. La société luxembourgeoise a aussi bénéficié, au cours de l'exercice clos en 2011, de la réduction du capital de la société française, et son capital a été ensuite réduit en 2012 et en 2015 de 10 % et de 80 %. A l'issue de ces opérations, les frères ont chacun pu appréhender la somme de 3,2M€ euros en exonération d’IR.
Un des frères a fait l'objet d'un contrôle sur pièces au titre de l'année 2009 et d'un examen de sa situation fiscale personnelle portant sur les années 2010, 2011 et 2012 à l'issue desquels l'administration fiscale a notamment estimé que les dividendes servis au cours des années 2009 à 2011 par la société française à sa société-mère luxembourgeoise devaient, en application de la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, être regardés comme distribués au contribuable, associé à 50 % de cette seconde société.
Pour l’administration fiscale, la société luxembourgeoise était dépourvue de substance économique réelle et son interposition entre ses associés et la société française présentait le caractère d'un montage artificiel réalisé dans le but exclusif de permettre aux associés de s'approprier en franchise d'impôt le produit de la cession des actifs de la société française via la holding luxembourgeoise.
Le contribuable soutenait de son côté qu'il aurait eu la possibilité d’obtenir le même résultat fiscal au moyen d'un rachat par la société française de ses propres titres suivi de leur annulation, lui permettant d'appréhender en franchise d'impôt la trésorerie de cette société. Cette position est rejeté à la fois par le tribunal administratif de Lyon ainsi que la cour administrative d'appel de Lyon et le Conseil d’Etat.
Il faut rappeler qu’aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, (on parle d’abus de droit par simulation, simulation par acte fictif, par acte déguisé ou par interposition de personne), soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles (on parle alors d’abus de droit par fraude à la loi).
En matière fiscale, il existe, bien sûr, une liberté des choix, autorisant le contribuable à opter pour la solution qui lui est fiscalement la plus favorable, et selon le Conseil d’Etat, un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l’administration fiscale, tant qu’il n’a pas été déclaré nul par le juge judiciaire.
Mais lorsque les actes ou contrats sont passés dans le seul but de contourner la loi fiscale et de faire bénéficier le contribuable d’un avantage fiscal indu, la situation est qualifiée d’abus de droit. Cependant l’administration est en droit également de retenir l’abus de droit alors même que le contribuable évoque un avantage autre que fiscal, dès lors que cet avantage autre que fiscal est négligeable et est sans aucune mesure avec l’économie fiscale réalisée. La procédure d’abus de droit vise à dissuader des montages juridiques qui, bien qu’étant conformes à la loi, ont pour unique objet d’éluder l’impôt.
Il a été jugé par exemple que le montage consistant pour un père à faire précéder la cession de ses titres d’une donation à ses enfants mineurs afin de neutraliser la taxation de la plus-value, n’est pas opposable à l’administration en l’absence de dépouillement immédiat et irrévocable ; le contribuable ayant donné à sa fille âgée de deux ans des titres d’une société qui ont été cédés quelques jours plus tard à un tiers, le prix de la cession étant versé le mois suivant sur un compte ouvert au nom de l’enfant, compte auquel, en sa qualité de représentant légal, le contribuable avait librement accès. Il a d’ailleurs appréhendé dans les mois qui ont suivi plus de 82 % de cette somme en la portant au crédit de plusieurs comptes rémunérés, ouverts conjointement à son nom et à celui de son épouse. Des documents intitulés « contrats de prêt », signés par le contribuable et son épouse par lesquels ils s’engageaient à rembourser à leur fille les sommes qu’ils avaient inscrites sur leurs comptes, n’avaient pas été enregistrés. L’administration a remis en cause la donation faite par le contribuable à sa fille au motif qu’il s’agissait d’une donation fictive, constitutive d’un abus de droit, en regardant la cession de ces titres par sa fille à une autre société, comme ayant été, en réalité, effectuée par le contribuable lui-même. La plus-value correspondante a été soumise à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales (CE 5 février 2018 n° 409718).
Les exemples d’abus de droit sont nombreux et se retrouvent essentiellement dans des opérations telles que la donation-cession d’immeuble, la donation-cession de titres de sociétés, la consolidation sauvage des résultats dans les groupes de sociétés, la fusion à l’envers ou encore l’option pour l’IS juste avant une opération de fusion.
Il a été jugé qu’un bail par lequel le propriétaire donne en location un immeuble, alors qu’il en garde, en réalité, la jouissance dans le but de déduire la totalité des charges de l’immeuble, est un acte fictif relevant de l’abus de droit (CE 15 janvier 1982). La location gérance d’un garage qui dissimule une cession de fonds de commerce est constitutive d’un abus de droit (CE 18 juin 1986), de même que la transformation d’une société civile immobilière en société anonyme pour permettre à l’associé principal d’échapper à l’impôt sur revenu (CE 3 novembre 1986). En revanche, la cession par le gérant
majoritaire d’une SARL, d’une partie de ses parts sociales à un membre de sa famille en vue d’obtenir le statut de gérant minoritaire et avoir la qualité de salarié, ne constitue pas un abus de droit (CE 15 novembre 1989).
L’acquisition de société sans activités par une autre société dans le but d’obtenir l’exonération des dividendes sur le fondement du régime des sociétés mère-fille et déduire des provisions pour dépréciation des titres, est constitutive d’abus de droit (CE 23 juin 2014).
L’abus de droit, ce « péché des surdoués de la fiscalité », (Maurice COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis), est sanctionné d’une majoration égale à 80 % des droits mis à la charge du contribuable lorsqu’il est établi que celui-ci a eu l’initiative principale des actes abusifs ou en a été le principal bénéficiaire, et à 40 % lorsque cette preuve n’est pas apportée.
La charge de la preuve, en ce qui concerne les pénalités pouvant être infligées en cas d'abus de droit, incombe à l'administration. Il appartient ainsi à l'administration d'établir le bien-fondé des pénalités en cas d'abus de droit.
Il a été jugé que lorsque les éléments invoqués par l'administration permettent de regarder comme établie l'existence d'un abus de droit, mais ne permettent pas de justifier l'application de la majoration pour abus de droit au taux de 80 %, il appartient au juge, alors même qu'il n'aurait pas été saisi d'une demande en ce sens, d'appliquer la majoration pour abus de droit au taux de 40 % et de substituer ce taux à l'autre en ne prononçant, en conséquence, que la décharge partielle de la pénalité contestée. Lorsque l’administration prouve l’abus de droit mais ne justifie pas de l’application de la majoration de 80 %, le juge applique donc d’office le taux de 40 % (CE 19 mars 2018 n° 399862).
Il faut remarquer que l’administration peut toujours écarter un acte juridique sans nécessairement se placer sur le terrain de l’abus de droit. C’est ainsi que l’administration a pu requalifier la nature d’une activité exercée par un contribuable sans se placer sur le terrain de l’abus de droit lorsque celui-ci, se prétendant salarié et produisant des fiches de paie de ses employeurs, exerce en réalité, l’activité d’agent d’affaires, passible de la TVA (CE Ass. Plén. 21 juillet 1989).
Cependant l’abus de droit ne peut être retenu, lorsque préalablement à la conclusion de l’acte, le contribuable a fait une procédure de rescrit en demandant son avis à l’administration qui n’a pas répondu dans un délai de six mois.
La solution retenu par le Conseil d’Etat dans l’arrêt commenté condamne la voie suivie par certains juges du fond autorisant le contribuable à contester la qualification d’acte abusif au motif qu’un autre acte non abusif aurait entraîné une charge fiscale équivalente. L’abus de droit est donc caractérisé même en présence d’un montage inutile.
CE 12-12-2023 nos 470038 et 470039.
Arnaud Soton
Avocat Fiscaliste
Professeur de droit fiscal