Pas d’activité de marchand de biens en cas d’achats-reventes successifs de résidences principales.
Selon le Conseil d’Etat, la seule circonstance qu’un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d’immeubles qu’il affecte à sa résidence principale, sans que l’administration fiscale n’établisse ni qu’il ne les aurait pas occupés à ce titre ni que ces opérations procédaient d’un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l’exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l’article 150-U du CGI, caractériser une activité de marchand de biens.
Au cas particulier, un contribuable avait procédé en treize ans à neuf opérations d’achat de terrains et de revente de maisons d’habitation qu’il y avait fait construire en plaçant ces cessions sous le régime de l’exonération prévu en faveur des résidences principales.
L’administration avait remis en cause ces exonérations en estimant que le contribuable avait, du fait de ces opérations, la qualité de marchand de biens. Les juges du fond avaient donné raison à l’administration, mais le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la cour d’appel pour erreur de droit, l’administration n’avait ni remis en cause l’affectation à la résidence principale de certains des immeubles, ni invoqué l’abus de droit.
Rappelons qu’aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, (on parle d’abus de droit par simulation, simulation par acte fictif, par acte déguisé ou par interposition de personne), soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles (on parle alors d’abus de droit par fraude à la loi).
En matière fiscale, il existe, bien sûr, une liberté des choix, autorisant le contribuable à opter pour la solution qui lui est fiscalement la plus favorable, et selon le Conseil d’Etat, un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l’administration fiscale, tant qu’il n’a pas été déclaré nul par le juge judiciaire.
Mais lorsque les actes ou contrats sont passés dans le seul but de contourner la loi fiscale et de faire bénéficier le contribuable d’un avantage fiscal indu, la situation est qualifiée d’abus de droit. Cependant l’administration est en droit également de retenir l’abus de droit alors même que le contribuable évoque un avantage autre que fiscal, dès lors que cet avantage autre que fiscal est négligeable et est sans aucune mesure avec l’économie fiscale réalisée. La procédure d’abus de droit vise à dissuader des montages juridiques qui, bien qu’étant conformes à la loi, ont pour unique objet d’éluder l’impôt.
Il a été jugé par exemple que le montage consistant pour un père à faire précéder la cession de ses titres d’une donation à ses enfants mineurs afin de neutraliser la taxation de la plus-value, n’est pas opposable à l’administration en l’absence de dépouillement immédiat et irrévocable ; le contribuable ayant donné à sa fille âgée de deux ans des titres d’une société qui ont été cédés quelques jours plus tard à un tiers, le prix de la cession étant versé le mois suivant sur un compte ouvert au nom de l’enfant, compte auquel, en sa qualité de représentant légal, le contribuable avait librement accès. Il a d’ailleurs appréhendé dans les mois qui ont suivi plus de 82 % de cette somme en la portant au crédit de plusieurs comptes rémunérés, ouverts conjointement à son nom et à celui de son épouse. Des documents intitulés « contrats de prêt », signés par le contribuable et son épouse par lesquels ils s’engageaient à rembourser à leur fille les sommes qu’ils avaient inscrites sur leurs comptes, n’avaient pas été enregistrés. L’administration a remis en cause la donation faite par le contribuable à sa fille au motif qu’il s’agissait d’une donation fictive, constitutive d’un abus de droit, en regardant la cession de ces titres par sa fille à une autre société, comme ayant été, en réalité, effectuée par le contribuable lui-même. La plus-value correspondante a été soumise à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales (CE 5 février 2018 n° 409718).
Les exemples d’abus de droit sont nombreux et se retrouvent essentiellement dans des opérations telles que la donation-cession d’immeuble, la donation-cession de titres de sociétés, la consolidation sauvage des résultats dans les groupes de sociétés, la fusion à l’envers ou encore l’option pour l’IS juste avant une opération de fusion.
Il a été jugé qu’un bail par lequel le propriétaire donne en location un immeuble, alors qu’il en garde, en réalité, la jouissance dans le but de déduire la totalité des charges de l’immeuble, est un acte fictif relevant de l’abus de droit (CE 15 janvier 1982). La location gérance d’un garage qui dissimule une cession de fonds de commerce est constitutive d’un abus de droit (CE 18 juin 1986), de même que la transformation d’une société civile immobilière en société anonyme pour permettre à l’associé principal d’échapper à l’impôt sur revenu (CE 3 novembre 1986). En revanche, la cession par le gérant majoritaire d’une SARL, d’une partie de ses parts sociales à un membre de sa famille en vue d’obtenir le statut de gérant minoritaire et avoir la qualité de salarié, ne constitue pas un abus de droit (CE 15 novembre 1989).
L’acquisition de société sans activités par une autre société dans le but d’obtenir l’exonération des dividendes sur le fondement du régime des sociétés mère-fille et déduire des provisions pour dépréciation des titres, est constitutive d’abus de droit (CE 23 juin 2014).
L’abus de droit, ce « péché des surdoués de la fiscalité », (Maurice COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis), est sanctionné d’une majoration égale à 80 % des droits mis à la charge du contribuable lorsqu’il est établi que celui-ci a eu l’initiative principale des actes abusifs ou en a été le principal bénéficiaire, et à 40 % lorsque cette preuve n’est pas apportée.
CE 14–6–2023 n° 461960.