CABINET D'AVOCAT ARNAUD SOTON
AVOCATS FISCALISTES
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Responsabilité du notaire pour absence d’information sur le pacte Dutreil.


Commet une carence fautive dans l’accomplissement de son devoir de conseil le notaire qui ne renseigne pas sa cliente sur l’existence et les conditions d’un dispositif fiscal, au motif que les conditions de cet avantage ne seraient pas réunies.

Aux termes de l'article 787 B du CGI, sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de leur valeur, les parts ou actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre  vifs, sous certaines conditions, notamment  le a de l'article  787 B du  CGI précisant que les parts ou actions de la société transmises doivent faire l'objet d'un engagement collectif de conservation d'une durée minimale de 2 ans en cours au jour de la transmission.

Pour bénéficier donc de ce régime dit « pacte Dutreil », la transmission doit notamment porter sur des titres d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Le pacte Dutreil constitue ainsi le principal régime de faveur permettant de réduire le coût fiscal de la transmission à titre gratuit, par donation ou succession, d’une entreprise sociétaire ou individuelle.

Au cas particulier, une veuve et sa fille avaient, au décès de leur mari et père, recueilli sa succession, comprenant notamment un fonds de commerce. Le 7 septembre 2015, la veuve et sa fille ont confié à un notaire, le règlement de la succession respectivement de leur mari et père décédé en 2015.

Le notaire a établi deux déclarations de succession qu'elle a déposées auprès de l'administration fiscale en avril 2016. Le 9 décembre 2019, estimant qu'avaient été omis de l'actif de succession déclaré un compte courant d'associé du défunt dans la Sarl pour un montant de 144 035 euros et une créance successorale de 56 503 euros, l'administration fiscale a proposé une rectification à hauteur de 91 916 euros, dont 11 700 euros au titre de pénalités. Un dégrèvement a été opéré par la suite pour tenir compte de la baisse du solde du compte courant d'associé, ramenant la proposition de rectification à 81 259 euros, dont 10 457 euros de pénalités correspondant à des intérêts de retard. La fille, héritière, ayant payé cette somme, a fait assigner le notaire devant le tribunal judiciaire d'Evreux en responsabilité et en réparation de ses préjudices, notamment pour manquement à son devoir de conseil concernant la possibilité d’invoquer une exonération partielle Dutreil sur cet actif.

Si le notaire reconnaissait ne pas avoir renseigné sa cliente sur l’existence de ce dispositif fiscal, il arguait pour légitimer cette abstention, que les conditions d’application de l'avantage fiscal n’étaient pas réunies ; l’héritière ayant manifesté sa volonté de vendre le fonds de commerce.

Pour la Cour d’appel, comme pour le tribunal judiciaire d’ailleurs, le notaire, en sa qualité de professionnel et d'officier public et ministériel, est tenu d'une obligation d'information et de conseil à l'occasion de l'ensemble des actes qu'il instrumente. Il est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur le contenu et la portée de l'acte qu'il établit. Il a notamment l'obligation de prévoir les incidences fiscales des actes qu'il rédige. Il doit en informer ses clients et les conseiller afin de leur permettre d'en apprécier l'impact et il lui incombe de démontrer qu'il a rempli cette obligation.

Pour les juges, l’argument du notaire pour légitimer cette abstention, selon lequel les conditions de cet avantage fiscal n'était pas réunies en l'espèce, est inopérant, car dès lors que la consistance de la succession était susceptible sous certaines conditions de permettre à ses héritiers, notamment à sa fille, de bénéficier d'abattements fiscaux, et même si aucune question ne lui avait été posée en ce sens, le notaire devait en aviser cette dernière sans préjuger de la position et de la profession de celle-ci au moment du décès de son père. Cette carence du notaire dans l'accomplissement de son devoir de conseil est donc fautive, car l’héritière n'a pas été mise en mesure de remplir les conditions nécessaires après le décès de son père et d'obtenir l'exonération de droits de succession à concurrence de 75 % de la valeur des parts de la société de ce dernier. Le lien de causalité entre la faute et le préjudice subi est caractérisé.

Comme l’a relevé le tribunal en première instance et soutenu par la Cour d’appel en appel, il ne peut être supputé de ce qu'aurait décidé la fille dûment informée des conséquences fiscales de son choix. Le juge a estimé qu’il existait une chance sérieuse pour que l’héritière entreprenne les démarches afin de satisfaire aux obligations pour le bénéfice du dispositif d’exonération, vu l’importance d’ailleurs de cette exonération, lorsque le montant des droits en ce qui la concerne sont de 357 949 euros.

Il faut rappeler que l’article 787 B du CGI, dans sa version applicable au litige mentionne les conditions  suivantes pour bénéficier de l’exonération :

a. Les parts ou les actions doivent faire l'objet d'un engagement collectif de conservation d'une durée minimale de deux ans en cours au jour de la transmission, qui a été pris par le défunt ou le donateur, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d'autres associés. Lorsque les parts ou actions transmises par décès n'ont pas fait l'objet d'un engagement collectif de conservation, un ou des héritiers ou légataires peuvent entre eux ou avec d'autres associés conclure dans les six mois qui suivent la transmission l'engagement prévu au premier alinéa.

b. L'engagement collectif de conservation doit porter sur au moins 20 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par la société s'ils sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou, à défaut, sur au moins 34 %, y compris les parts ou actions transmises. Ces pourcentages doivent être respectés tout au long de la durée de l'engagement collectif de conservation.

L'engagement collectif de conservation est opposable à l'administration à compter de la date de l'enregistrement de l'acte qui le constate. Il est réputé acquis lorsque les parts ou actions détenues depuis deux ans au moins par une personne physique seule ou avec son conjoint ou le partenaire avec lequel elle est liée par un pacte civil de solidarité atteignent les seuils prévus au premier alinéa, sous réserve que cette personne ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité exerce depuis plus de deux ans au moins dans la société concernée son activité professionnelle principale ou l'une des fonctions énumérées au 1° de l'article 885 O bis lorsque la société est soumise à l'impôt sur les sociétés.

c. Chacun des héritiers, donataires ou légataires prend l'engagement dans la déclaration de succession ou l'acte de donation, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les parts ou les actions transmises pendant une durée de quatre ans à compter de la date d'expiration du délai visé au a.

d. L'un des associés mentionnés au a. ou l'un des héritiers, donataires ou légataires mentionnés au c. exerce effectivement dans la société dont les parts ou actions font l'objet de l'engagement collectif de conservation, pendant la durée de l'engagement prévu au a. et pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, son activité professionnelle principale si celle-ci est une société de personnes visée aux articles 8 et 8 ter, ou l'une des fonctions énumérées au 1° de l'article 885 O bis lorsque celle-ci est soumise à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option.

e. La déclaration de succession ou l'acte de donation doit être appuyée d'une attestation de la société dont les parts ou actions font l'objet de l'engagement collectif de conservation certifiant que les conditions prévues aux a. et b. ont été remplies jusqu'au jour de la transmission.

En l’espèce, selon le notaire, l’héritière avait manifesté sa volonté de vendre le fonds de commerce, et donc, elle n’aurait pas pu remplir les conditions, de sorte que l’absence d’information sur l’existence du dispositif ne lui a pas causé de préjudice.

Les juges rejettent ce moyen en estimant que dès lors que la consistance de la succession était susceptible, sous certaines conditions, de permettre à ses héritiers de bénéficier d’abattements fiscaux, et même si aucune question ne lui avait été posée en ce sens, le notaire était tenu d’en aviser sa cliente, sans préjuger de sa position et de sa profession au moment du décès, et quand bien même l’héritière aurait, originellement, manifesté sa volonté de vendre le fonds, le notaire ne pouvait supputer, sans commettre une carence fautive dans son devoir de conseil, de ce que celle-ci aurait décidé en étant dûment informée des conséquences fiscales de son choix.

Les juges ont évalué à 50% la perte de chance. Ce taux est ainsi appliqué sur l'impôt qui aurait été évité, égal à 62 547,60 euros. Le notaire dont la responsabilité est engagée, est condamné à indemniser l’héritière à hauteur de 31 273,80 euros, contrairement au montant de 46 911 euro retenu par les premiers juges.

L’obligation d’information et de conseil, notion inconnue du code civil, est devenue un élément important du droit des contrats aujourd’hui. Le juge et le législateur ont consacré l’obligation d’information et de conseil dans plusieurs domaines. Cette obligation d’information et de conseil participe ainsi de l’exigence d’un consentement libre et éclairé. La jurisprudence, au fil des années et notamment depuis 2010, a apporté différents éléments en la matière. Le médecin, par exemple, a l’obligation d’informer son patient des risques relatifs aux actes médicaux. Si à l’époque, la charge de la preuve de l’absence d’information revenait au patient, c’est au médecin qu’il revient de plus en plus de prouver qu’il avait bien rempli son obligation d’information.

En définitive, le notaire est tenu d'une obligation d'information et de conseil à l'occasion de ses actes, en ce sens qu’il doit éclairer les clients de manière complète et circonstanciée, sur le contenu et la portée de l'acte qu'il établit. Il a donc notamment l'obligation de prévoir les incidences fiscales des actes qu'il rédige. Il doit en informer ses clients et les conseiller afin de leur permettre d'en apprécier l'impact, et comme le dit le juge, même si aucune question ne lui est posée en ce sens. De même, il lui incombe, après coup, de démontrer qu'il a rempli cette obligation. La vigilance est donc de mise dans l’accomplissement des missions.

Cour d'appel de Rouen - 1ère ch. Civile 22 novembre 2023 / n° 22/00275.

Arnaud Soton

Avocat fiscaliste

Professeur de droit fiscal


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