Résultat fiscal des médecins conventionnés et non adhésion à une association agréée.
L’administration fiscale a tiré les conséquences de la suppression du dispositif de majoration du bénéfice imposable des travailleurs indépendants non adhérents d'un organisme agréé et de la décision de la CEDH du 7 décembre 2023, en modifiant ses commentaires relatifs à la détermination du résultat fiscal des médecins conventionnés du secteur I, dans sa mise à jour de la base BOFiP du 28 août 2024.
Ainsi, tous les médecins du secteur I, adhérents ou non, peuvent désormais bénéficier, toutes conditions étant remplies par ailleurs, de l'abattement du groupe III et de la déduction complémentaire de 3 % (en plus de la déduction de 2 % représentative des frais professionnels). Pour les années d'imposition non prescrites ou celles pour lesquelles le délai de réclamation n'a pas expiré, le bénéfice de ces déductions n'est plus conditionné au non-cumul avec l'absence de la majoration.
À compter de l'imposition des revenus de l'année 2023, la majoration du bénéfice applicable aux non-adhérents à une association agréée (CGI, art. 158, 7, 1°) est totalement supprimée. Par un arrêt du 7 décembre 2023 (CEDH, 7 déc. 2023, n° 26604/16, Waldner c. France), la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que cette majoration était contraire à l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
Rappel de l’arrêt de la CEDH du 7 décembre 2023
Selon la Cour européenne des droits de l’Homme, la majoration appliquée jusqu’en 2022 à la base d’imposition des revenus des titulaires de BIC, de BNC ou de BA non-adhérents d’un organisme de gestion agréé violait l’article 1er du premier protocole.
Il faut rappeler qu’avant 2006, l’adhésion des titulaires de BIC, de BNC ou de BA à un organisme de gestion agréé avait pour effet d’accorder aux adhérents un abattement de 20 % sur leurs revenus imposables. L’article 76 de la loi 2005-1719 du 30 décembre 2005 a modifié le régime fiscal applicable à ces professionnels, à compter de la déclaration pour 2007 sur les revenus perçus en 2006, en abrogeant l’abattement en question et en le remplaçant par une majoration de l’assiette de leurs revenus imposables de 25 % en cas d’absence d’adhésion à un OGA.
Ainsi, pour l’imposition des revenus des années 2006 à 2022, la base d’imposition des professionnels concernés faisait l’objet d’une majoration lorsqu’ils n’adhéraient pas à un organisme de gestion agréé. Cette majoration de 25 % avait été récemment réduite à 20 %, 15 %, et 10 % pour les revenus des années 2020, 2021 et 2022, avant d’être finalement supprimée à compter de l’imposition des revenus de l’année 2023.
Dans l’affaire portée devant la Cour en décembre 2023, un contribuable à qui la majoration a été appliquée au titre des années 2006 à 2011, au motif qu’il n’était pas adhérent d’un organisme de gestion agréé a saisi la CEDH afin de contester l’application de cette majoration ; et pour la CEDH, il y avait effectivement eu violation de l’article 1er du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
La Cour avait considéré que la méthode choisie par le législateur français pour assurer le paiement de l’impôt au moyen d’une majoration de l’assiette de l’impôt dû par les non-adhérents à un organisme agréé et par les contribuables ne faisant pas appel à un autre professionnel agréé était contraire à la philosophie générale du système basé sur les déclarations du contribuable présumées faites de bonne foi et correctes, et que le taux de la majoration automatiquement applicable à hauteur de 25 % entraînait une surcharge financière disproportionnée à l’encontre du requérant. La Cour en avait conclu que cette méthode, telle qu’elle a été appliquée en l’espèce, rompait le juste équilibre qui doit exister entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu.
Nous notions déjà que cette décision ouvrait droit à une possibilité de réclamation pour les contribuables ayant fait l'objet d'une majoration pour non adhésion à un organisme de gestion agréé, et que les contribuables concernés pouvaient déposer une réclamation pour demander la restitution de l’impôt supplémentaire acquitté de ce fait (CEDH 7 décembre 2023, requête no 26604/16, affaire Waldner c. France).
Mises en œuvre pratique par le tribunal administratif de Caen
Dans un jugement du 26/02/2024 (Tribunal Administratif de Caen, 2ème Chambre, 26 janvier 2024, 2102488), l’application de cette majoration de 25% appliquée aux revenus des non-adhérents à un organisme de gestion agrée vient d’être écartée par le juge français.
Au cas particulier, un contribuable a remporté en 2019, un gain d'un montant de 107 827 € en jouant au poker. Il a alors interrogé l'administration fiscale pour savoir si son gain était imposable. Il faut rappeler qu’en principe, la pratique, même habituelle, de jeux de hasard ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits, au sens des dispositions de l'article 92 du CGI, en raison de l'aléa qui pèse sur les perspectives de gains du joueur, et qu’en conséquence les gains issus de jeux de hasard ne sont pas imposables. En effet, ces sommes ne sont pas considérées comme des revenus imposables à l'impôt sur le revenu, car elles sont perçues comme étant exceptionnelles.
En ce qui concerne ce jour de poker qui a adressé un rescrit à l’administration fiscale, cette dernière lui a indiqué qu'il était imposable à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux sur le fondement de l'article 92 du CGI et que ses gains faisaient en plus l’objet d’une majoration de 25% pour défaut d’adhésion à un organisme de gestion agréé. Les gains ont donc été soumis à l’impôt sur le revenu, avec l’application de la majoration de 25%.
Sa réclamation préalable pour contester les impositions ayant été rejetée, il a saisi le tribunal administratif de Caen pour lui demander de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2019, et il soutenait également que l'application de la majoration de 25% prévue par les dispositions du 1° du 7 de l'article 158 du CGI est intervenue en méconnaissance de l'article 1er du protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne l’imposition des gains issus du poker, le tribunal relève que si la pratique, même habituelle, de jeux de hasard ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits, au sens des dispositions précitées de l'article 92 du CGI, en raison de l'aléa qui pèse sur les perspectives de gains du joueur, il en va différemment de la pratique habituelle d'un jeu d'argent opposant un joueur à des adversaires lorsqu'elle permet à ce dernier de maîtriser de façon significative l'aléa inhérent à ce jeu, par les qualités et le savoir-faire qu'il développe, et lui procure des revenus significatifs.
Le tribunal en conclut que les gains qui en résultent sont alors imposables, en application de l'article 92, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, alors même que le contribuable exercerait aussi par ailleurs une activité professionnelle.
Le tribunal a relevé que le contribuable jouait au poker en ligne depuis 2010, à raison de dix à quinze heures hebdomadaires, ce qui caractérise une pratique habituelle de ce jeu et qu’il ne peut être retenu que le contribuable ne disposerait pas d'une maîtrise significative de l'aléa inhérent à ce jeu, ce qui ferait obstacle au caractère imposable des sommes en litige, alors qu’il a gagné cette somme à un tournoi d'envergure, ce qui traduit en toute hypothèse une maîtrise du poker par celui-ci. Ces gains, dans ces circonstances, sont évidemment imposables, et le joueur de poker est donc débouté sur ce point.
En revanche, sur la majoration de 25%, le tribunal rappelle l'article 1er du protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ajoute que par une décision du 7 décembre 2023 (n°26604/16), la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que la majoration appliquée à la base d’imposition des revenus des titulaires de BIC, de BNC ou de BA non-adhérents d’un organisme de gestion agréé violait l’article 1er du premier protocole.
Ayant relevé que les revenus déclarés par le contribuable à hauteur de 103 101 € ont été portés par l'administration fiscale à un montant de 128 876 €, après application du coefficient de 1,25, le tribunal a jugé que le contribuable est fondé à soutenir que l'application par l'administration fiscale de la majoration de 25% est intervenue en méconnaissance de l'article 1er du protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le tribunal a ainsi prononcé la réduction des impositions contestées à concurrence de l'application aux revenus déclarés de la majoration de 25%.
Si cette pratique fiscale est désormais obsolète, comme nous le rappelions plus haut, elle a affecté de nombreux contribuables qui peuvent ainsi déposer une réclamation pour demander la restitution de l’impôt supplémentaire acquitté de ce fait.
Dans sa mise à jour de la base BOFiP du 28 août 2024, l’Administration a tiré les conséquences de la suppression de la majoration et de la contrariété de ce mécanisme avec le droit européen, en supprimant ses commentaires relatifs à l'articulation entre cette majoration et les déductions dont peuvent bénéficier les médecins conventionnés du secteur I.
BOI du 28/08/2024 : BOI-BNC-SECT-40 - BNC - Conséquences de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 7 décembre 2023 n° 26604/16 pour la détermination du résultat fiscal des médecins conventionnés relevant du secteur I.
Arnaud Soton
Avocat Fiscaliste
Professeur de droit fiscal