Lors de certaines vérifications de comptabilité, l’administration fiscale peut estimer que la comptabilité de l’entreprise est dénuée de toute valeur probante au regard des graves irrégularités qu’elle comporte. L’administration fiscale rejette alors la comptabilité de la société.
Le rejet de la comptabilité est possible, d’abord lorsque la comptabilité est irrégulière, c’est-à-dire lorsqu’elle comporte des erreurs, omissions ou inexactitudes graves et répétées, lorsqu’il y a absence de pièces justificatives, ou encore la non-présentation de la comptabilité, tout simplement.
Il a été jugé que le fait qu’une comptabilité comporte des omissions volontaires de recettes suffit en principe à établir son absence de valeur probante (CE 24 novembre 1986 n° 46012). L’omission de comptabilisation des recettes, pour une partie de la période vérifiée, affecte ainsi la valeur probante de la comptabilité, pour toute la période (CE 7 juillet 1982). Est également dépourvue de valeur probante, une comptabilité commune à deux entreprises différentes, même si elles sont installées dans les mêmes locaux (CE 3 décembre 1982). La valeur probante fait aussi défaut en l’absence de documents comptables, alors même qu’il est établi qu’ils ont été détournés par le comptable (CE 2 juin 1982). Il en est de même lorsque la comptabilité a été détruite par un incendie (CE 26 juillet 1982), ou encore lorsque les documents ont été volés (CE 27 février 1984). Cependant l’omission de dépenses faites sans factures, et d’un faible montant pendant une période limitée ne prive pas la comptabilité de valeur probante (CE 27 octobre 1982).
Le rejet de comptabilité est possible également lorsque, la comptabilité est apparemment régulière, mais que le vérificateur a des raisons sérieuses d’en contester la sincérité. C’est le cas d’une boîte de nuit ou d’une boulangerie qui soutiendraient, par exemple, qu’elles n’encaissent jamais d’espèce.
Les présomptions peuvent résulter aussi d'une insuffisance du taux de bénéfice brut calculé à partir des données de la comptabilité ; ou du train de vie et, le cas échéant, de l'enrichissement de l'exploitant, lorsqu'il est hors de proportion avec l'importance des bénéfices déclarés.
Des écarts importants, constatés pendant plusieurs années consécutives, entre les recettes déclarées par un médecin et le montant de ses honoraires inscrit sur le relevé individuel établi par la sécurité sociale constituent des indices précis et concordants d'omission de recettes, suffisants pour mettre en cause le caractère probant de la comptabilité de l'intéressé, même si celle-ci est régulière en la forme (AN 16-12-1991 p. 5178 n° 46406).
Mais, l'administration ne peut écarter une comptabilité régulière en la forme pour le seul motif qu'elle dégagerait un taux de bénéfice anormalement bas (CE 27-7-1984 n° 28902).
En cas de rejet de la comptabilité, le vérificateur détermine les bases d’imposition à l’aide de tous les éléments dont il dispose et il a la liberté de choix de la méthode. La méthode employée est très variable, selon la nature de l’activité de l’entreprise et des indices et éléments dont dispose le vérificateur. Dans certains cas, le vérificateur ne dispose d’aucune information interne à l’entreprise et il doit donc faire avec les moyens de bord. Le fait qu’une comptabilité soit dépourvue de valeur probante ne fait pas obstacle à ce que l’administration utilise des éléments tirés de cette même comptabilité pour reconstituer le chiffre d’affaires.
Les principales méthodes utilisées par l’administration sont celles de l’extrapolation et celle de l’enrichissement.
« L’extrapolation consiste à généraliser ou à interpréter des résultats déjà obtenus, dans un domaine où le manque de données n’a pas permis l’analyse » (Thierry LAMBERT, Procédures Fiscales, LGDJ). Cette méthode permet ainsi au vérificateur de dégager un pourcentage de dissimulation et à le généraliser.
La méthode de l’enrichissement, quant à elle, repose sur la présomption selon laquelle il ne peut y avoir d’enrichissement sans gain. Le vérificateur va donc aller voir la caisse privée du contribuable. Dans tous les cas, l’administration a la liberté du choix de la méthode pour reconstituer la comptabilité.
Il a été admis la reconstitution du chiffre d’affaires d’un salon de coiffure pour dames en évaluant le nombre de clientes ayant fréquenté le salon pendant les années soumises à vérification grâce au rapport entre la consommation annuelle d’électricité des séchoirs à cheveux équipant le salon et la consommation correspondant au temps moyen de séchage par cliente (CE 25 juillet 1986 n°50497).
De même le vérificateur peut, par exemple, reconstituer les recettes d’une boulangerie par utilisation de la méthode du rendement par quintal de farine, c’est-à-dire mesurer pour une période d’une semaine, par exemple, la quantité de farine utilisée et les marchandises vendues.
Cependant le juge n’accepte de telles reconstitution que lorsque la méthode retenue par le vérificateur n’est ni exagérément sommaire ni radicalement viciée, et que par ailleurs, le contribuable n’a pas proposé une méthode d’évaluation plus convaincante (CE 29 octobre 2003).
En ce qui concerne les restaurants, dès lors que l’administration dispose d’une part d’une comptabilité fiable des achats d’alcool et d’autre part d’une quantité suffisante d’additions établies, permettant d’apprécier la consommation moyenne de vin par client, elle procède souvent à la reconstitution, en se fondant sur la quantité de vins vendue sur une période donnée (CE 27 mars 2000).Cependant une reconstitution faite sur les seuls achats de fromage est jugée sommaire (CE 24 novembre 1986). De même, une méthode de reconstitution du chiffre d’affaires d’un établissement de restauration rapide, reposant sur le nombre de clients évalués à partir du nombre des serviettes en papier achetées, est radicalement viciée dans son principe (CAA Bordeaux 9 mars 1999).
De même, ont été jugés trop sommaires, une reconstitution effectuée à partir d’articles choisis simplement au hasard (CE 10 février 1993), une reconstitution des recettes d’une poissonnerie à l’aide d’un relevé des prix ne portant que sur une matinée ( CE 5 mars 1993), une reconstitution du chiffre d’affaires d’un bar-restaurant, sur toute la période vérifiée, à partir d’un fragment de bande enregistreuse, sans tenir compte du nombre des jours ouvrables, ni des variations saisonnières, ni des modifications de conditions d’exploitation au cours de la période (CE 7 mai 1986).
Lorsque le juge considère que la méthode de reconstitution de la comptabilité est radicalement viciée dans son principe, il procède systématiquement à la décharge des impositions (CE 24 juillet 1987 n°52778). Cependant, lorsque la méthode apparaît simplement excessivement sommaire, il apprécie au cas par cas.
L’administration dispose, comme on vient de le voir, de pouvoirs importants dans le cadre de la vérification de comptabilité.
Arnaud Soton
Avocat fiscaliste
Professeur de droit fiscal