Dans son arrêt N° 454954 du 14 avril 2022, le Conseil d’Etat considère qu’une proposition de rectification qui indique explicitement remettre en cause le montant d’une plus-value immobilière née d’un acte de cession intervenu à une date donnée ne peut être regardée comme insuffisamment motivée faute d’avoir mentionné l’année d’imposition.
Au cas particulier, des contribuables ont cédé, le 18 avril 2014, une parcelle de terrain à bâtir pour un prix de 540 000 euros et ont déclaré une plus-value immobilière nette de 72 375 euros.
Par une proposition de rectification du 29 septembre 2016, l'administration fiscale a rectifié la plus-value taxable à 392 725 euros.
Les contribuables ont demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales associées auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2014. Par un jugement du 31 janvier 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande. En appel, la cour administrative d'appel de Lyon, par un arrêt du 27 mai 2021, a annulé le jugement et a déchargé les contribuables de l'intégralité des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujetti, au motif que la proposition de rectification ne satisfaisait pas aux exigences de motivation posées par l’article L. 57 du LPF, faute d’avoir mentionné l’année d’imposition. L’administration fiscale s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat qui a annulé l’arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon.
Selon le Conseil d’Etat, si la proposition de rectification ne mentionne pas expressément l’année d’imposition, cette dernière indique explicitement remettre en cause le montant de la plus-value née de l’acte de cession du 18 avril 2014 enregistré le 18 juin suivant, contenant la déclaration de plus-value 2048-IMM signée du contribuable. Par suite, elle apparaît suffisamment motivée au regard des exigences posées par l’article L. 57 du LPF.
Aux termes de l’article L 57 al. 1 du Livre des Procédures Fiscales (LPF), l’administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. La proposition de rectification doit donc être précisément motivée, afin que le contribuable sache exactement ce que l’administration lui reproche. L’administration est ainsi tenue de produire des éléments de faits et de droit. Elle doit établir clairement les faits avant d’en tirer toutes les conséquences et procéder aux rectifications. Chaque chef de rectification doit être mentionné de manière distincte. Sous peine d'irrégularité, la proposition de rectification doit indiquer, par exemple, la catégorie de revenus à laquelle doivent être rattachés les rectifications.
L’administration doit faire connaître au redevable la nature, les motifs et le montant des rectifications envisagées. Contrairement à la juridiction judiciaire, la juridiction administrative n'exige pas impérativement que la proposition de rectification indique les textes fondant les rectifications. Cependant, l'administration est tenue de mentionner, dans la proposition de rectification, les textes dont elle fait application lorsque cette indication est nécessaire pour éclairer le contribuable sur les considérations de droit fondant la rectification envisagée et lui permettre de la discuter utilement. Cela dit, la circonstance que l’un des motifs de rectification indiqué par le vérificateur soit erroné n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure d’imposition, à moins que le contribuable, par ce fait, n’ait pas été en mesure de produire des observations. De même, la proposition de rectification ne peut être analysée comme insuffisamment motivée du seul fait qu’elle ne mentionne pas certains articles du code général des impôts (CGI) dont le vérificateur fait application. C’est ainsi qu’est suffisamment motivée la proposition de rectification qui indique la nature et le montant des rectifications envisagées et comporte, chef par chef, des indications relatives aux motifs de ces rectifications, suffisantes pour permettre au contribuable d'engager valablement une discussion avec l'administration (CE 21-6-1985 n° 41313). De même, une proposition de rectification qui indique les motifs pour lesquels la comptabilité a été écartée, ainsi que la méthode de reconstitution des recettes utilisée, est suffisamment motivée dès lors qu'elle permet au contribuable d'engager utilement un dialogue avec le service, même si elle ne comporte pas certains tableaux annexes de calcul (CE 3-7-2002 n° 204647). En revanche, une proposition de rectification est insuffisamment motivée en ce qui concerne la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires d'un hôtel dès lors que, pour justifier le taux d'occupation retenu, elle se fonde sur le taux rencontré dans d'autres établissements mais ne comporte ni indications chiffrées relatives aux établissements ayant servi de référence, ni désignation de ces établissements (CAA Bordeaux 2-11-2005 n° 02-1781).
Dans un cas où l'administration a envoyé à un contribuable une proposition de rectification se bornant à informer l'intéressé qu'elle substituait au revenu global déclaré par lui un revenu plus élevé calculé d'après son enrichissement apparent sans indiquer les catégories de revenus auxquelles se rattacherait le supplément de revenu global, le Conseil d'Etat a jugé que, dès lors qu'il ne s'agissait pas d'une mise en œuvre de l'article 168 du CGI relatif à l’évaluation forfaitaire du revenu global d'après les éléments du train de vie, une telle proposition, qui ne fait pas connaître au contribuable avec une précision suffisante la nature et les motifs des rectifications, ne satisfait pas aux prescriptions de l'article L 57 du LPF. La procédure était donc entachée d'irrégularité (CE 2-12-1977 n° 99098).
Dans l’immense majorité des cas, l’élaboration de la proposition de rectification n’appelle pas de commentaires spécifiques. Mais dans deux cas particuliers, l’élaboration de la proposition implique la mise en œuvre de techniques spécifiques. Il s’agit, pour les entreprises, du rejet de comptabilité et pour les particuliers, de l’évaluation indiciaire.
En effet, dans certaines situations, l’administration fiscale peut estimer que la comptabilité de l’entreprise est dénuée de toute valeur probante au regard des graves irrégularités qu’elle comporte. Le rejet de la comptabilité est possible, d’abord lorsque la comptabilité est irrégulière, c’est-à-dire lorsqu’elle comporte des erreurs, omissions ou inexactitudes graves et répétées, lorsqu’il y a absence de pièces justificatives, ou encore la non-présentation de la comptabilité.
Il a été jugé que le fait qu’une comptabilité comporte des omissions volontaires de recettes suffit en principe à établir son absence de valeur probante (CE 24 novembre 1986 n° 46012). L’omission de comptabilisation des recettes, pour une partie de la période vérifiée, affecte ainsi la valeur probante de la comptabilité, pour toute la période (CE 7 juillet 1982). Est également dépourvue de valeur probante, une comptabilité commune à deux entreprises différentes, même si elles sont installées dans les mêmes locaux (CE 3 décembre 1982). La valeur probante fait aussi défaut en l’absence de documents comptables, alors même qu’il est établi qu’ils ont été détournés par le comptable (CE 2 juin 1982). Il en est de même lorsque la comptabilité a été détruite par un incendie (CE 26 juillet 1982), ou encore lorsque les documents ont été volés (CE 27 février 1984). Cependant l’omission de dépenses faites sans factures, et d’un faible montant pendant une période limitée ne prive pas la comptabilité de valeur probante (CE 27 octobre 1982).
Le rejet de comptabilité est possible également lorsque la comptabilité est apparemment régulière, mais que le vérificateur a des raisons sérieuses d’en contester la sincérité. C’est le cas d’une boîte de nuit ou d’une boulangerie qui soutiendrait qu’elle n’encaisse jamais d’espèce. En cas de rejet de la comptabilité, le vérificateur détermine les bases d’imposition à l’aide de tous les éléments dont il dispose et il a la liberté de choix de la méthode. La méthode employée est très variable, selon la nature de l’activité de l’entreprise et des indices et éléments dont dispose le vérificateur. Dans certains cas, le vérificateur ne dispose d’aucune information interne à l’entreprise et il doit donc faire avec les moyens de bord. Le fait qu’une comptabilité soit dépourvue de valeur probante ne fait pas obstacle à ce que l’administration utilise des éléments tirés de cette même comptabilité pour reconstituer le chiffre d’affaires.
Les principales méthodes utilisées par l’administration sont celles de l’extrapolation et celle de l’enrichissement. « L’extrapolation consiste à généraliser ou à interpréter des résultats déjà obtenus, dans un domaine où le manque de données n’a pas permis l’analyse » (Thierry LAMBERT, Procédures Fiscales, LGDJ). Cette méthode permet ainsi au vérificateur de dégager un pourcentage de dissimulation et à le généraliser.
La méthode de l’enrichissement, quant à elle, repose sur la présomption selon laquelle il ne peut y avoir d’enrichissement sans gain. Le vérificateur va donc aller voir la caisse privée du contribuable. Dans tous les cas, l’administration a la liberté du choix de la méthode pour reconstituer la comptabilité. Il a été admis la reconstitution du chiffre d’affaires d’un salon de coiffure pour dames en évaluant le nombre de clientes ayant fréquenté le salon pendant les années soumises à vérification grâce au rapport entre la consommation annuelle d’électricité des séchoirs à cheveux équipant le salon et la consommation correspondant au temps moyen de séchage par cliente (CE 25 juillet 1986 n°50497).
De même le vérificateur peut reconstituer les recettes d’une boulangerie par utilisation de la méthode du rendement par quintal de farine, c’est-à-dire mesurer pour une période d’une semaine, par exemple, la quantité de farine utilisée et les marchandises vendues. Cependant le juge n’accepte de telles reconstitution que lorsque la méthode retenue par le vérificateur n’est ni exagérément sommaire ni radicalement viciée, et que par ailleurs, le contribuable n’a pas proposé une méthode d’évaluation plus convaincante (CE 29 octobre 2003).
En ce qui concerne les restaurants, dès lors que l’administration dispose d’une part, d’une comptabilité fiable des achats d’alcool et d’autre part, d’une quantité suffisante d’additions établies, permettant d’apprécier la consommation moyenne de vin par client, elle procède souvent à la reconstitution, en se fondant sur la quantité de vins vendue sur une période donnée (CE 27 mars 2000). Cependant une reconstitution faite sur les seuls achats de fromage est jugée sommaire (CE 24 novembre 1986). De même, une méthode de reconstitution du chiffre d’affaires d’un établissement de restauration rapide, reposant sur le nombre de clients évalués à partir du nombre des serviettes en papier achetées, est radicalement viciée dans son principe (CAA Bordeaux 9 mars 1999).
Ont été jugés trop sommaires, une reconstitution effectuée à partir d’articles choisis simplement au hasard (CE 10 février 1993) ; une reconstitution des recettes d’une poissonnerie à l’aide d’un relevé des prix ne portant que sur une matinée ( CE 5 mars 1993) ; une reconstitution du chiffre d’affaires d’un bar-restaurant, sur toute la période vérifiée, à partir d’un fragment de bande enregistreuse, sans tenir compte du nombre de jours ouvrables, ni des variations saisonnières, ni des modifications de conditions d’exploitation au cours de la période (CE 7 mai 1986).
Lorsque le juge considère que la méthode de reconstitution de la comptabilité est radicalement viciée dans son principe, il procède systématiquement à la décharge des impositions (CE 24 juillet 1987 n°52778). Cependant, lorsque la méthode apparaît simplement excessivement sommaire, il apprécie au cas par cas.
En dehors du cas de rejet de comptabilité, l’élaboration de la proposition de rectification peut aussi être spécifique en cas d’évaluation indiciaire des revenus d’un particulier. En effet, aux termes de l’article 168 du CGI, en cas de disproportion marquée entre le train de vie d'un contribuable et ses revenus, la base d'imposition à l'impôt sur le revenu est portée à une somme forfaitaire déterminée en appliquant à certains éléments de ce train de vie un barème, lorsque cette somme est supérieure ou égale à un certain montant, lui-même relevé chaque année dans la même proportion que la limite supérieure de la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu. Cet article permet à l’administration de taxer les revenus de certains contribuables en se fondant non pas sur leurs déclarations, mais sur des signes extérieurs considérés comme des indices fiables de leur train de vie, c’est-à-dire de leurs revenus supposés.
Les éléments pris en compte pour la détermination de la base forfaitaire d'imposition sont : la valeur locative cadastrale de la résidence principale ; la valeur locative cadastrale des résidences secondaires; les employés de maison, précepteurs, préceptrices et gouvernantes ; les voitures automobiles destinées au transport des personnes; les motocyclettes de plus de 450 cm3 ; les yachts ou bateaux de plaisance à voiles ; les bateaux de plaisance à moteur ; les avions de tourisme ; les chevaux de course ; les chevaux de selle ; la location de droits de chasse et participation dans les sociétés de chasse et les participations et abonnements dans les clubs de golf.
Ces éléments sont retenus même lorsqu'ils ne sont pas la propriété du contribuable ou des membres du foyer fiscal. En effet, il suffit que les intéressés en aient eu la libre disposition, à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, pendant toute l'année ou une partie seulement de l'année d'imposition, étant entendu que le fait qu'un contribuable ait disposé d'éléments à titre de propriétaire, de locataire ou simplement à titre gratuit est sans influence sur l'application du texte. Chacun de ces éléments est associé à une base d’imposition forfaitaire. Par exemple, chaque résidence équivaut à une base imposable de cinq fois la valeur locative cadastrale ; chaque cheval de course équivaut à 4 600 € ; la location de droits de chasse et participation dans les sociétés de chasse équivaut à deux fois le montant des loyers payés ou des participations versées lorsqu'il dépasse 4 600 € ; la participation dans les clubs de golf, deux fois le montant des sommes versées lorsqu'il dépasse 4 600 €. L’administration devra ainsi additionner la valeur associée à chacun des signes extérieurs de richesse dont a joui le contribuable pour déterminer son revenu annuel forfaitaire.
Il faut ajouter que la loi prévoit désormais également la possibilité de taxer les trafiquants sur la base de la valeur des biens saisis. En effet l’article 1649 quater-0 B bis du CGI instaure un mécanisme de présomption en ce sens que le trafiquant est censé avoir perçu un revenu imposable équivalent à la valeur vénale des biens objets du trafic. Le texte s'applique notamment aux infractions suivantes : les crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-39 du code pénal ; les crimes en matière de fausse monnaie prévus par les articles 442-1 à 442-7 du même code ; les crimes et délits en matière de législation sur les armes prévus par les articles L 2339-2 à L 2339-11 du code de la défense et portant sur des armes de la première à la cinquième catégorie au sens de l'article L 2331-1 du même code ; les délits à la réglementation sur les alcools et le tabac prévus à l'article 1810 du CGI ; ou encore aux délit de contrefaçon prévu à l'article L 716-9 du code de la propriété intellectuelle. Le texte précise quand même que la présomption peut être combattue par tout moyen.
L’article 1649 quater-0 B ter du CGI a également instauré un nouveau mécanisme de taxation indiciaire sur la base d’éléments de train de vie en cas de transmission d’information par les services judiciaires chargés de la lutte contre les activités portant atteinte à l’ordre public et à la sécurité publique. Le texte retient des indices actualisés tels que les dépenses liées à des clubs de sports et de loisirs, les voyages, séjours en hôtels, locations saisonnières et dépenses y afférentes, ou encore les appareils électroménagers, équipements son-hifi-vidéo et matériels informatiques.
Que ce soit dans le cadre de la rédaction d’une proposition de rectification « ordinaire » ou dans le cadre de certains cas spécifiques comme la reconstitution de comptabilité pour les entreprises ou l’évaluation indiciaire pour les particuliers, l’administration doit motiver suffisamment la proposition de rectification.
CE 14/04/2022 N° 454954
Arnaud Soton
Avocat fiscaliste
Professeur de droit fiscal