La date du fait générateur des droits d'enregistrement en cas de cession de droits sociaux.
Par un arrêt de cassation, la Cour de cassation juge que c'est à la date du transfert de propriété qu'il convient de se placer pour apprécier la nature des droits sociaux cédés, et par conséquent, déterminer le taux des droits d'enregistrement applicable à la cession.
En effet, selon la Cour de cassation, les droits d'enregistrement applicables à une cession de droits sociaux sont liquidés selon la nature juridique de ces droits, déterminée à la date du fait générateur des droits d'enregistrement, lequel correspond à la date du transfert de propriété, peu important qu'à la date de la soumission de l'acte de cession à la formalité de l'enregistrement, la transformation dont la société a fait l'objet antérieurement n'ait pas été publiée au registre du commerce et des sociétés.
Au cas particulier, l’assemblée générale extraordinaire d’une SARL a décidé la transformation de la SARL en SAS, avec effet au jour même. Le lendemain, les titres de la société ont été cédés. Quelques jours plus tard, le cessionnaire a déposé les déclarations de cession des droits sociaux auprès du service des impôts et a réglé les droits d'enregistrement. Le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire a été également enregistré par le service des impôts quelques jours après.
Trois ans plus tard, et comme le délai de reprise n’est pas encore écoulé, l'administration fiscale a procédé à des rappels de droits d'enregistrement, considérant que la cession portait sur des parts sociales de la SARL et non sur des actions de la SAS, dès lors que les formalités de publicité du changement de forme sociale de SARL en SAS n'avaient pas été réalisées à la date de la cession. Selon l'administration fiscale, le cessionnaire ne pouvait pas bénéficier, en termes de droits d’enregistrement, du tarif applicable à la cession des actions d’une SAS, mais devait être soumis aux droits applicables aux cessions de parts de SARL.
Il faut rappeler que selon les dispositions de l'article 726 I, 1° du code général des impôts dans sa version applicable au litige, les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d'enregistrement suivant un taux dégressif tandis que les cessions de parts sociales dans les sociétés dont le capital n'est pas divisé en actions sont soumises à un droit fixe.
Le cessionnaire ayant contesté les rappels de droits d'enregistrement, l'administration fiscale a maintenu le redressement et mis à la charge de la société cessionnaire, des droits supplémentaires d'un montant de 75 455 euros en principal et 10 564 euros au titre des intérêts de retard.
Devant la Cour d’appel de Lyon, le cessionnaire soutient que les droits d'enregistrement applicables à une cession de droits sociaux sont liquidés selon la nature juridique de ces droits sociaux déterminée à la date du fait générateur des droits d'enregistrement, laquelle correspond à la date du transfert de propriété. Ainsi pour le demandeur, l'absence de publicité de la modification antérieure de la forme sociale de la société cédée à la date de la cession est sans incidence sur la nature juridique des droits sociaux .
Cependant, la Cour d’appel de Lyon rejette la demande de décharge, au motif que la transformation de la société n'avait pas été publiée lors de la cession des titres et que l'inscription sur le registre des mouvements de titres ne rendait pas cette transformation opposable à l'administration fiscale. La Cour d’appel ajoute que la déclaration de cession des droits sociaux ne permettait pas à l’administration de connaître la nouvelle forme de la société et que les actes sujets à mention au registre du commerce et des sociétés ne peuvent être opposés à l'administration fiscale que s'ils ont été publiés, de sorte que l'administration n'avait eu connaissance de la forme nouvelle de la société qu'au moment de la publication du procès-verbal d'assemblée décidant sa transformation.
C’est ce raisonnement que la Cour de cassation a censuré, cassant et annulant, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon. En effet, pour la Cour de cassation, en statuant comme elle l’a fait, alors que les droits d'enregistrement applicables à une cession de droits sociaux sont liquidés selon la nature juridique de ces droits déterminée à la date du fait générateur des droits d'enregistrement, lequel correspond à la date du transfert de propriété, peu important qu'à la date de la soumission de l'acte de cession à la formalité de l'enregistrement, la transformation dont la société a fait l'objet antérieurement n'ait pas été publiée au registre du commerce et des sociétés, la cour d'appel a violé le texte applicable.
Cette décision favorable au contribuable peut donner raison aux auteurs qui pensent que le juge judiciaire a tendance à être plus favorable au contribuable que le juge administratif. Peut-être que la même affaire, si le contentieux avait été de la compétence du juge administratif, n’aurait pas eu la même issue.
Rappelons que le contentieux fiscal se partage entre le juge administratif et le juge judiciaire, même si l’essentiel de la matière relève de la compétence du juge administratif. L’article L 199 du LPF est le siège de la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Selon les dispositions de cet article, en matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, les décisions rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent être portées devant le tribunal administratif. En matière de droits d'enregistrement, d'impôt sur la fortune immobilière, de taxe de publicité foncière, de droits de timbre, de contributions indirectes et de taxes assimilées à ces droits, taxes ou contributions, le tribunal compétent est le tribunal judiciaire.
Relèvent de la compétence du juge administratif, les impôts directs et la taxe sur la valeur ajoutée : impôts sur le revenu, impôts sur les sociétés, impôts directs locaux comme la taxe foncière et la taxe d’habitation, la CSG et CRDS sur les revenus du patrimoine et les revenus de placement. Ces impôts relevant de la compétence du juge administratif représentent plus de 95% du contentieux fiscal.
Relèvent de la compétence du juge judiciaire, les impôts indirects et l’impôt sur la fortune immobilière : droits d’enregistrement, droit de timbre, contributions indirectes et taxes assimilées telles que la taxe sur les véhicules de société, les droits de place dans les halles et marchés, les droits sur les alcools, la CSG et CRDS sur les revenus d’activité et de remplacement, la taxe de publicité foncière, l’IFI. Le contribuable doit donc s’adresser, soit au tribunal administratif, soit au tribunal judiciaire, en fonction de l’impôt qui fait l’objet de contestation.
En tous les cas, on est ici en matière de droits d’enregistrement, et on ne peut que se féliciter de cette décision favorable au contribuable. Il faut remarquer que l’administration fiscale aurait pu se placer sur le terrain de l’abus de droit pour tenter d’écarter les droits applicables aux cessions de titres d’une SAS, au motif que la transformation de la société la veille de la cession était constitutive de l’abus de droit.
En effet, aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, (on parle d’abus de droit par simulation, simulation par acte fictif, par acte déguisé ou par interposition de personne), soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles (on parle alors d’abus de droit par fraude à la loi).
Les exemples d’abus de droit sont nombreux et se retrouvent essentiellement dans des opérations telles que la donation-cession d’immeuble, la donation-cession de titres de sociétés, la consolidation sauvage des résultats dans les groupes de sociétés, la fusion à l’envers ou encore l’option pour l’IS juste avant une opération de fusion. Il a été jugé par exemple que le montage consistant pour un père à faire précéder la cession de ses titres d’une donation à ses enfants mineurs afin de neutraliser la taxation de la plus-value, n’est pas opposable à l’administration.
Dans l’affaire commentée, l’administration a préféré mettre en avant le fait que les formalités de publicité du changement de forme sociale de SARL en SAS n'avaient pas été réalisées à la date de la cession.
Cass. com., 18 déc. 2024, n° 23-21.435, F-B.
Arnaud Soton
Avocat fiscaliste
Professeur de droit fiscal